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Course aux talents : pourquoi une récession ne résoudra pas la pénurie de main-d’œuvre

Par Derek Dobson, chef de la direction et gestionnaire du Régime de retraite des CAAT

Les solutions de fortune aux défis structurels des entreprises ne tiennent jamais la route, et une récession n’offrira qu’un répit temporaire contre les problèmes de fidélisation des employés. À long terme, la crise des talents peut être un catalyseur de croissance durable.

 

Alors que les entreprises canadiennes continuent de faire face à des défis en matière de recrutement, certains croient que la possible récession imminente est la solution.

Les conceptions traditionnelles de l’économie du travail suggèrent que les ralentissements du marché renforcent la loyauté des travailleurs envers leur employeur, dissuadent les démissions et facilitent le recrutement. Les dirigeants auraient tort de compter sur une récession pour résoudre les problèmes d’attraction des talents.

Au cours des trois dernières années, le travail à distance s’est extrêmement popularisé malgré une volatilité des marchés et une incertitude sociale sans précédent. Selon des sondages récents, près de la moitié des Canadiens prévoient trouver un nouvel emploi cette année.

Grâce à nos réseaux de chefs d’entreprise, de chercheurs et d’économistes, Susan Black, du Conference Board du Canada, et moi-même avons exploré lors d’une récente discussion virtuelle les impacts financiers et commerciaux réels de la course aux talents. Récession ou pas, la course aux talents qualifiés va continuer de s’intensifier et ne montre aucun signe de ralentissement à l’horizon : les tendances démographiques sont une force bien trop puissante.

Le bilan de la pénurie de talents

Le thème sous-jacent émergent de la pénurie de main-d’œuvre est que les changements générationnels, structurels et culturels au sein de la main-d’œuvre sont à l’origine de la crise des talents. Les changements fondamentaux comprennent :

  • un déficit grandissant en matière de compétences et de technologie qui ne peut être comblé rapidement;
  • le départ à la retraite massif des employés les plus chevronnés, et dont les connaissances institutionnelles ne peuvent être transférées; et
  • l’évolution des attentes des salariés, qui exigent de nouvelles valeurs sur le lieu de travail.

Le marché du travail canadien est confronté à un problème mathématique simple : le nombre de travailleurs qui entrent sur le marché du travail est inférieur à celui des travailleurs qui en sortent, et l’offre de candidats possédant les compétences nécessaires pour l’avenir est limitée. Les candidats qualifiés qui restent attendent davantage des employeurs, notamment en matière d’avantages sociaux, de régimes de retraite et de flexibilité du travail.

Je conseille aux dirigeants de commencer par retenir les talents dont ils disposent déjà. Si vous ne réglez pas le problème de la fidélisation des employés, tous les autres problèmes deviendront beaucoup plus importants et compliqués.

Les solutions à court terme aux problèmes structurels ne sont pas durables

À la fin des années 1990, le cabinet d’experts-conseils McKinsey a inventé le terme « guerre des talents » pour faire référence à la concurrence féroce qui existe dans les économies avancées pour attirer et fidéliser les employés à une époque où trop peu de travailleurs étaient disponibles pour remplacer les baby-boomers qui prenaient leur retraite. Plus de 20 ans plus tard, la concurrence continue.

Rien qu’au Canada, des études estiment qu’un travailleur sur cinq partira à la retraite l’année prochaine ou dans les deux ans à venir, selon les secteurs. Ce chiffre inclut un nombre record de préretraités (personnes âgées de 55 à 64 ans) qui choisissent de quitter la vie active. Les démographes prévoient qu’à l’avenir, il n’y aura que quatre candidats pour cinq emplois disponibles, ce qui créera des postes vacants représentant 25 milliards de dollars ou 1,3 point de PIB perdu chaque année.

Après des années d’évolution des conditions de travail, la pénurie de travailleurs qualifiés dans divers secteurs (notamment les services industriels et professionnels) entrave la croissance et la capacité à rebondir et à tirer parti de la réouverture de l’économie.

Elle alimente également l’épuisement professionnel et affaiblit la loyauté et la fidélisation de la main-d’œuvre existante. Les employés absorbent des charges de travail plus lourdes, perdent en productivité et risquent de prendre la fuite. Les primes de recommandation étant devenues la norme dans les entreprises avides de talents, et la perte d’un employé démotivé et trop stressé peut rapidement entraîner des départs dans l’ensemble de l’organisation.

Les employeurs tentent d’atténuer les démissions au moyen d’augmentations salariales ou de primes de maintien en poste pouvant atteindre 30 % à 40 % dans certains secteurs. Une prime de maintien en poste est en fait une prime de fidélisation pour montrer aux employés très performants qu’ils sont appréciés et qu’ils sont essentiels à l’entreprise. La formation des nouveaux employés est coûteuse et pas toujours facile d’accès. Cependant, comme le notent certains dirigeants, la pérennisation des primes de maintien en poste augmente les coûts de rémunération et alimente la spirale inflationniste généralisée et insoutenable des prix et des salaires. Ces solutions de fortune à court terme grignotent une partie des résultats financiers et ne s’attaquent pas aux problèmes de fond.

Stratégies de fidélisation pour l’avenir

Les employés souhaitent avant tout être rémunérés équitablement, bénéficier d’une mobilité de carrière pour évoluer dans leur fonction et se sentir respectés et intégrés. Les dirigeants qui saisissent ces exigences et adaptent leur proposition de valeur, en fonction du modèle d’entreprise, seront en position de tête dans la course aux talents en 2023 et au-delà.

L’une des priorités des dirigeants a été de fidéliser les talents, notamment en augmentant les salaires. Une approche de la rémunération globale, qui inclut de meilleurs avantages sociaux, des régimes de retraite et des remboursements de formation continue, peut être plus efficace pour les employeurs et plus significative pour les employés. Ces investissements, associés à une expérience intégrée de l’employé dès le premier jour lors de l’orientation, sont des changements programmatiques à long terme qui peuvent réellement aider l’organisation à se positionner pour une meilleure fidélisation et plus de succès, car la course aux talents ne fera que s’accentuer.

Mme Susan Black, qui est à la tête d’une entreprise virtuelle, affirme que les Canadiens continueront à s’attendre à des modalités de travail flexibles. Pour les rôles essentiels dont les options de travail à distance ou de travail flexible sont limitées, les dirigeants peuvent surmonter le                                        « dilemme de la flexibilité du travail de première ligne » en améliorant les mesures de maintien en poste, comme les programmes de bien-être en milieu de travail, hautement désirés par les employés.

Les dirigeants ont tout à gagner à partager leurs expériences, à accepter les échecs et à célébrer les réussites collectives. Cette conversation virtuelle explore de nombreux thèmes et tendances découlant de discussions avec différents chefs d’entreprise et leaders d’opinion. Nous y apprenons également que le moment est venu pour les organisations d’évoluer et s’autoévaluer pour s’adapter aux changements structurels du marché du travail.

L’ampleur du déficit de compétences, le renouvellement des générations et les attentes culturelles à l’origine de la pénurie de main-d’œuvre exigent des stratégies durables et expérimentales pour y remédier. Les organisations qui parviendront à tirer leur épingle du jeu dans la course mondiale aux talents seront celles qui testent, itèrent, ajustent et essaient de nouveau.

Derek Dobson possède plus de 30 ans d’expérience dans le secteur des pensions et conseille des employeurs de toutes tailles au Canada. Il dirige l’un des régimes de retraite à prestations déterminées les plus performants du Canada ouvert aux employeurs du secteur privé, public élargi et à but non lucratif.

*Article publié à l’origine sur le site Web de Talent Canada.